REPARATION DU PREJUDICE CORPOREL : INDEMNISATION DES SEQUELLES PERMANENTES SUR BASE D’UN FORFAIT OU D’UN CALCUL DE CAPITALISATION ? DEUX NOUVEAUX ARRETS DE LA COUR DE CASSATION CONFIRMENT LE RECOURS A LA CAPITALISATION
par Marc VANDERWECKENE
L’évaluation des indemnités dues en réparation d’un dommage corporel semble être devenue de plus en plus imprévisible .
La victime doit-elle s’attendre à un montant forfaitaire pour la réparation des séquelles permanentes (par exemple, sur base du tableau indicatif publié en 2020 : 1140 € par pour cent à l’âge de 20 ans, ou 690 € par pour cent à l’âge de 50 ans) ou peut-elle espérer l’octroi d’un capital fondé sur base d’une indemnité journalière et de l’espérance de vie probable, ce qui donnera lieu à une indemnisation beaucoup plus élevée ?
Les tribunaux amenés à arbitrer cette question sont de plus en plus divisés.
Les lignes directrices de la jurisprudence sont en principe tracées par la Cour de cassation.
Celle-ci a parfois manqué de clarté dans ses prises de position.
Elle vient cependant de confirmer dans deux arrêts des 10 et 16 octobre 2024 la nécessaire primauté de la méthode de capitalisation fondée sur une base journalière, fut-elle forfaitaire.
Dans ces deux arrêts, les jugements décidant d’une réparation forfaitaire des séquelles permanentes ont été cassés.
La cour a ainsi retenu dans son arrêt du 10 octobre 2024 (C.24.0035.F/1) le moyen fondé sur le fait que le tribunal d’appel avait fondé son rejet de la capitalisation sur des motifs qui en réalité concernaient l’existence et la nature du dommage et non son évaluation.
En d’autres termes, le tribunal avait relevé, pour appliquer une réparation forfaitaire, que le syndrome cervical dont se plaignait la victime était circonstanciel (port de charges ou long travail devant un ordinateur) et que le dommage était susceptible de varier en intensité.
Dans l’arrêt du 16 octobre 2024 (P.24.0704.F/1à, la Cour de cassation a estimé à nouveau que les motifs retenus par le juge d’appel pour faire application d’un forfait concernaient l’existence et la nature du dommage et sont étrangers à son évaluation. En outre, ces motifs amèneraient à considérer qu’il appartient à la victime qui invoque le bénéfice d’une indemnisation capitalisée d’établir que le dommage se manifestera de manière linéaire.
In fine, la Cour conclut que « le tribunal ne constate pas que la méthode de capitalisation préconisée par (la victime) conduirait à lui allouer une somme dépassant les préjudices à indemniser et qu’il lui est impossible de déterminer autrement les dommages ».
En pratique, cette surindemnisation des préjudices ou encore l’impossibilité de déterminer autrement les dommages semblent bien difficiles à démontrer, à tout le moins sur base de considérations précises et argumentées.
Ainsi, ces deux arrêts émanant respectivement de la première et deuxième chambre francophone de la Cour de cassation viennent confirmer la primauté qui doit être accordée à la réparation sur base d’une indemnité journalière capitalisée pour l’avenir, plutôt qu’en recourant à des forfaits généraux ayant pour seul critère différentiel l’âge de la victime, ce qui exclut toute approche concrète du dommage réellement subi.