Le 20 février 2025, une proposition de loi a été déposée visant à insérer le Livre 7 « Contrats spéciaux » dans le Code civil belge. Ce projet modernise en profondeur les règles des contrats d’entreprise (construction) et de prestation de services. Voici, en termes clairs, les principaux changements à retenir – qui ne concerneront que les futurs contrats conclus après l’entrée en vigueur de la loi :
- Un régime général des contrats de service avec devoir de collaboration – Le nouveau Livre 7 crée un cadre commun à tous les contrats de service (prestations intellectuelles ou matérielles sans lien de subordination, par ex. contrats d’entreprise, mandats, dépôts). Il consacre notamment une obligation de collaboration réciproque entre le prestataire et son client pendant l’exécution du service. En pratique, chaque partie devra coopérer de bonne foi à la réussite du contrat : le client doit, par exemple, fournir les informations et accès nécessaires, et le prestataire communiquer et agir en tenant compte des besoins du client. Ce devoir explicite de collaborer vise à éviter les incompréhensions et blocages en cours de projet.
- Des imprévus mieux pris en compte (« sujétions imprévues ») – Le projet introduit à l’article 7.4.8 un mécanisme permettant de gérer les obstacles imprévisibles rencontrés lors d’un service. Sauf clause contraire, si des conditions exceptionnelles (présentes avant le contrat mais révélées ensuite) rendent l’exécution beaucoup plus coûteuse ou difficile que prévu, le prestataire peut demander une adaptation ou la résiliation du contrat. Cette règle des sujétions imprévues s’inspire de la pratique des marchés publiques et s’applique désormais à tous les contrats de service, pas seulement à la construction. Elle se distingue de la théorie générale de l’imprévision (qui, elle, vise les changements de circonstances survenant après la conclusion du contrat) : ici on couvre les problèmes cachés existant dès le départ (par exemple, un sol instable découvert pendant les travaux). Concrètement, cela offre au prestataire une « bouée de sauvetage » pour renégocier en cas de grosses surprises, au lieu d’être tenu strictement au prix forfaitaire initial quoi qu’il arrive.
- Sous-traitants reconnus comme auxiliaires et action directe généralisée – La réforme clarifie le statut des sous-traitants en confirmant la qualification d’auxiliaires du prestataire. Cela signifie que le prestataire principal reste responsable vis-à-vis du client des actes de ses sous-traitants, comme s’ils étaient ses propres aides. Surtout, le Livre 7 étend à tous les services le bénéfice de l’action directe : si le prestataire ne paie pas un auxiliaire (par ex. un sous-traitant ou un consultant engagé), celui-ci peut réclamer directement au client sa rémunération due pour le travail effectué. Autrement dit, en cas de défaillance de l’entrepreneur principal, un sous-traitant aura le droit d’être payé à la source, dans la limite de ce que le client doit encore pour le service fourni. Ce renforcement de l’action directe vise à mieux protéger les sous-traitants, qui ne seront plus dépendants uniquement de la solvabilité de l’intermédiaire.
- Terminologie modernisée pour les contrats de construction – Le projet de loi remplace certaines notions traditionnelles afin de clarifier les étapes de réception des travaux. Dorénavant, la « réception provisoire » d’un ouvrage (la vérification initiale des travaux terminés) est rebaptisée « retirement de l’ouvrage » par le client, et la « réception définitive » (validation finale après période de garantie) devient l’« agréation » de l’ouvrage. Mis à part le changement de vocabulaire, le processus reste similaire : le client « retire » l’ouvrage lors de sa livraison provisoire, puis l’agrée (c’est-à-dire l’approuve définitivement) après la livraison définitive une fois les éventuels défauts de finition corrigés. Il faudra donc s’habituer à ces nouveaux termes dans les futurs contrats, sans que les droits et obligations pratiques des parties ne changent sur le fond à ces étapes.
- Responsabilité décennale : même protection, nouvelle formulation – Le principe bien connu de la garantie décennale en construction est maintenu à l’identique, avec un léger ajustement de formulation. L’article 7.4.49 du projet rend le prestataire (entrepreneur ou concepteur) responsable pendant 10 ans de tout défaut de conformité menaçant la stabilité de l’ouvrage. Dit simplement, si dans les dix ans suivant l’agréation (acceptation finale) du bâtiment, un vice grave compromettant la solidité ou la sécurité du bâtiment apparaît, le constructeur devra en répondre vis-à-vis du client. Cette responsabilité de dix ans – équivalente à celle prévue par les anciens articles 1792 et 2270 du Code civil – reste un délai préfix (fixe) : une fois les 10 ans écoulés à partir de la réception définitive, plus aucune action ne peut être intentée sur ces fondements. En pratique, les maîtres d’ouvrage conservent donc la même protection de longue durée contre les gros défauts de construction, simplement exprimée dans les termes de la conformité aux exigences du contrat.
- Application aux nouveaux contrats uniquement – Enfin, il est important de noter que ces nouvelles règles ne s’appliqueront qu’aux contrats conclus après l’entrée en vigueur du Livre 7. Les contrats signés avant cette future date continueront d’être régis par les dispositions actuelles. Autrement dit, il n’y aura pas d’effet rétroactif : seules les nouvelles conventions bénéficieront du cadre modernisé. Les praticiens du droit et les professionnels devront donc veiller à adapter leurs modèles de contrat en temps voulu, tout en gérant parallèlement les contrats en cours selon l’ancienne réglementation.
Le lecteur peut retenir que cette réforme du Code civil vise à clarifier et moderniser les obligations des parties dans les contrats de construction et de services. De la collaboration obligatoire entre client et prestataire, à la protection accrue des sous-traitants et à la confirmation des garanties de long terme, ces nouveautés devraient améliorer la sécurité juridique et l’équilibre des relations contractuelles, sans bouleverser les pratiques existantes. Le mot d’ordre : anticiper ces changements pour les contrats futurs, tout en sachant que la liberté contractuelle demeure la règle d’or sous le nouveau Code civil. Il est toutefois rappelé que le texte n’est pas encore définitif et pourrait subir des modifications lors du processus parlementaire.
Alexandru LAZAR
Avocat
Le 06 juin 2025