Responsabilité médicale – Dossier médical incomplet ou rapports lacunaires : qui en supporte les conséquences ?

23 septembre 2025 - Droit des assurances

Responsabilité médicale – Dossier médical incomplet ou rapports lacunaires : qui en supporte les conséquences ?

Un patient estimant être victime d’une faute médicale introduit une procédure judiciaire tendant à établir cette responsabilité et obtenir la réparation de son dommage.

Une expertise est ordonnée, et le patient est invité à produire son dossier médical.

A l’examen de celui-ci, et bien qu’une demande de copie complète et exhaustive ait été faite, il apparaît que certains rapports sont manquants ou que leur contenu est lacunaire. À titre d’exemple, un protocole opératoire est dépourvu de précisions sur la technique utilisée, ou une consultation médicale n’a pas donné lieu à l’établissement d’un rapport.

L’expert médecin désigné est ainsi amené à constater que les documents médicaux produits ne permettent pas de mettre en évidence la responsabilité invoquée.

Le patient doit-il supporter les conséquences de ce dossier lacunaire ?

Les règles de preuve en matière civile prévoient qu’il appartient au demandeur d’apporter la preuve des faits qu’il allègue (art 8.4 du Code civil et 870 du Code judiciaire).

Dans l’hypothèse examinée, l’incomplétude du dossier médical prive le patient, qui a la qualité de demandeur, de la possibilité de rapporter cette preuve.

L’article 9 de loi du 22 août 2002 sur les droits du patient, l’article 20 de la loi coordonnée du 10 juillet 2008 sur les hôpitaux et autres établissements de soins ; ainsi que l’article 33 de la loi du 22 avril 2019 relative à la qualité de la pratique des soins de santé, et enfin l’article 22 du Code de déontologie médicale imposent la tenue d’un dossier médical complet et à jour pour chaque patient.

Un manquement à cette obligation est ainsi constitutif d’une faute dont la conséquence est de priver le patient d’une chance de pouvoir établir la responsabilité invoquée.

Sur le plan probatoire, l’article 8.4 alinéa 5 du Code civil permet à présent au Juge de renverser la charge de la preuve pour autant que certaines conditions soient réunies.

Il pourra par exemple imposer au médecin de rapporter la preuve qu’il a recouru à une technique opératoire ou postopératoire adéquate, qu’il a complètement informé son patient de certains risques de complications prévisibles, etc.

Les conséquences d’un renversement de la charge de la preuve sont évidemment très lourdes.

Dans un arrêt du 17 juin 2025, la Cour d’appel de Liège a jugé en ce sens que :

« Il ressort de ces éléments que le protocole opératoire, qui aurait le cas échéant pu être complété par la production d’autres éléments objectifs, est lacunaire, ce qui empêche de connaître les soins qui ont été prodigués au patient, ne permettant pas à celui-ci d’en contester le cas échéant la qualité.

Le caractère lacunaire du protocole opératoire quant aux caractéristiques de la compression et de l’éventuelle protection mise en place dans les suites immédiates de l’intervention prive (le patient) de toute possibilité d’établir que cette compression serait fautive et à l’origine de son dommage.

Il serait manifestement déraisonnable de faire peser sur (le patient) la charge de prouver que les mesures prises après l’opération sont fautives.

(…) Ces circonstances exceptionnelles justifient de renverser la charge de la preuve en application de l’article 8.4 alinéa 5 du (Code civil) et partant d’inviter (l’assureur du médecin) a démontrer que les mesures prises et les dispositifs placés après l’intervention l’ont été conformément aux règles de l’art ».

Le Juge pourra ainsi être amené à décider qu’en ne respectant pas l’obligation d’établir un rapport ou protocole, et plus généralement un dossier médical complet et actualisé relatif à son patient, le médecin a privé celui-ci de la possibilité d’établir une éventuelle responsabilité.

La notion de perte de chance à présent expressément visée par l’article du 6.22 du Code civil qui prévoit que la personne lésée a droit à une réparation partielle en proportion de la probabilité que cette faute ait causé le dommage.

L’indemnisation de cette perte de chance devra être concrètement appréciée par le Juge.

S’il est bon de rappeler que la plus grande majorité des médecins et établissements hospitaliers veillent de manière attentive à la tenue de dossiers médicaux parfaitement complets et actualisés, il est tout aussi important de souligner que le patient ne reste plus démuni si, par exception, tel n’était pas son cas : les principes juridiques applicables permettent alors de tirer toutes les conséquences d’un dossier médical incomplet ou de rapports lacunaires.

 

Marc VANDERWECKENE